Le Monde daté du 11 avril 2015 publie un article sur l’accès des femmes aux postes de responsabilité au sein des université, après que la contestation de l’exigence de parité dans les instances universitaires par la CPU après du Conseil d’État le 8 avril.

À l’université, les femmes tenues à l’écart des responsabilités

La Conférence des présidents d’université conteste l’exigence de parité

Jeudi 9 avril, devant le congrès de l’UNEF à Nantes, la ministre chargée de l’enseignement supérieur, Najat Vallaud-Belkacem, a souligné à quel point l’université ignore encore la parité : Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce qu’avec seulement 6,5 % de femmes dirigeantes dans le supérieur – soit moitié moins que dans les autres pays de l’Union européenne –, la France soit en fin de classement en matière d’accès des femmes aux responsabilités. “

La loi sur l’enseignement supérieur du 22 juillet 2013 a certes permis de ” passer un premier cap pour que les femmes et les hommes participent ensemble à la gouvernance des établissements d’enseignement supérieur “. Mais la ministre a prévenu : ” D’autres étapes sont à franchir. Vous pouvez compter sur moi pour nous y conduire. “

Des réticences très fortes subsistent en effet. Ainsi, la Conférence des présidents d’université (CPU) a attaqué devant le Conseil d’État une disposition de la loi de 2013 instaurant la parité dans les conseils statuant sur la carrière des maîtres de conférences. Saisi par ricochet, le Conseil constitutionnel a examiné, mercredi 8 avril, une question prioritaire de constitutionnalité visant à faire annuler cette avancée. ” L’égal accès n’est pas un absolu à défendre à n’importe quel prix “, a plaidé Me Jean Barthélémy, l’avocat de la CPU. La décision sera rendue le 24 avril.

Plus l’on monte dans l’université, moins il y a de femmes, et la situation évolue peu. En vingt ans, la part des femmes chez les maîtres de conférences (42,6 % en 2012) et chez les professeurs (23,2 %) n’aura progressé que de dix points. ” A ce rythme-là, il faudra encore quinze ans pour que les femmes soient aussi nombreuses que les hommes chez les maîtres de conférences et un demi-siècle chez les professeurs ! “, constate Dominique Faudot, présidente de la commission permanente du Conseil national des universités. Elle a dressé un état des lieux, résumé dans un document de travail du 6 mars 2015, intitulé ” Les carrières des enseignantes-chercheures dans l’enseignement supérieur “.

Prise en compte tardive

Les différences commencent dès le début de la carrière : en 2013, les nouvelles maîtres de conférences étaient âgées de 34 ans en moyenne, soit un retard de neuf mois à l’embauche sur leurs collègues masculins, alors qu’elles avaient le même âge moyen qu’eux en doctorat. L’accès au corps des professeurs demande encore plus de patience. En 2013, les femmes n’y accédaient qu’à 47 ans en moyenne, plus de trois ans après les hommes.

L’effet pénalisant des maternités ne serait pas seul en cause. Mme Faudot suggère d’analyser les situations dans les établissements, qui pourraient faire apparaître ” d’autres causes potentielles comme l’investissement des femmes dans des tâches supposées moins nobles (comme les responsabilités de filières, etc.) réduisant ainsi le temps consacré à la recherche et donc aux publications “.

Après s’être auto-saisie de la question en octobre 2014, Mme Faudot a donc remis un rapport à Mme Vallaud-Belkacem. Au ministère, on indique que ” la démarche suivie – sur la parité – consiste à profiter du mouvement naturel d’adaptation des textes réglementaires pour prendre en compte cet aspect “ : l’actualisation de l’arrêté sur la formation doctorale permet ainsi d’introduire l’objectif de parité dans les jurys de thèse.

Mais la France pâtit d’une prise en compte tardive de l’enjeu. La loi de 2013 a aussi établi que tout établissement doit se doter d’un chargé de mission égalité. Cette reconnaissance réjouit Isabelle Kraus, maître de conférences à l’université de Strasbourg et présidente de la conférence permanente des chargés de mission égalités-diversité, créée en 2011.

” Néanmoins, nous sommes seulement des chargés de mission. Nous sommes des personnes seules, souligne Mme Kraus. Je suis membre du Gender Working Group de la Ligue européenne des universités de recherche, ce qui permet des échanges de pratiques. Il existe dans des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, la Grande-Bretagne ou la Norvège des services structurés avec des crédits, des moyens financiers qui permettent vraiment des actions concrètes. Ça fait rêver ! “

Mme Kraus insiste sur la nécessité de produire des statistiques. Ce dont témoigne aussi, à l’université de Limoges, son homologue Valérie Legros. En 2012, elle a présenté des données sur les promotions des maîtres de conférences, montrant que les femmes en bénéficiaient moins que les hommes.

” Immédiatement, la réaction a été de dire : “ce n’est pas vrai, tu t’es trompée dans tes chiffres”. L’illusion que nous étions dans l’égalité a provoqué de l’incrédulité. Mais en même temps, j’ai observé qu’en 2013 puis en 2014, les promotions étaient devenues égalitaires voire légèrement supérieures pour les femmes. Présenter ces résultats a donc eu un effet positif “, témoigne-t-elle. Une prise de conscience qui reste à réaliser en beaucoup d’endroits.

A.  de T.

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